
Le soleil, en ce dimanche de fin d’après-midi d’avril, s’attardait sur les toits d’Ottawa, tel un convive qu’on n’ose congédier. Devant l’entrée de leur hôtel, aux pierres encore tièdes du soleil du jour, Miss Dupuis et Robinson avaient hélé un fiacre. Ils y montèrent sans mot dire.
Le nom de Laviolette, entendu dans le vacarme de la scierie Eddy, flottait à présent entre les deux détectives. Ce témoin, s’il existait encore, méritait qu’on l’interroge. Mais, dans ce dédale de scieries, de tavernes et de ruelles sans nom, il fallait d’abord le trouver. C’était là que le cousin de Miss Dupuis, Antoine Cadrin, entrait en scène. Constable à Hull, il semblait en mesure d’ouvrir quelques portes.
— Alors, Thérèse, tu me dis que ce Cadrin est ton cousin ? demanda Robinson, la voix lasse d’une journée déjà bien remplie.
— Du côté de mon père, oui. Antoine a quelques années de plus que moi, mais nous jouions ensemble, jadis, au bord de la rivière, dans la cour des grands-parents. Il était déjà sérieux, un peu bourru, mais très loyal.
— Et pourtant, je ne le connais pas.
— Tu ne pouvais pas le connaître. Il est parti vivre à Hull avec son père bien avant que tu connaisses maman. Je me souviens encore de leur départ : sa mère venait de mourir, et son père ne supportait plus Montréal.
— Et tu l’as revu depuis ?
— Non. Pas depuis l’enfance. Les nouvelles venaient de loin, par les tantes ou une carte oubliée à Noël. Les familles se dispersent, Silas. Et pourtant, on reste attaché, d’une manière étrange, par des fils qu’on croyait rompus.
— Tu crois qu’il pourra nous aider ? reprit Robinson. Pourtant, je n’ai pas souvenir qu’il y ait une force de police bien établie à Hull.
— C’est vrai, Hull n’est pas Ottawa. Mais Antoine est constable au service du juge de paix local. Il connaît la ville comme sa poche, surtout ses coins les moins reluisants : les quais, les cabarets, les pensions miteuses où l’on paie à la semaine.
Miss Dupuis marqua une pause, puis, avec un demi-sourire :
— Tu sais, Silas, les tavernes ne sont pas censées être ouvertes aujourd’hui.
— Un jour sans boisson pour les braves gens de Hull ? Voilà qui menace l’équilibre moral de toute la région.
— Les débits de boissons doivent fermer le dimanche, qu’on soit catholique ou protestant. Les autorités prétendent ainsi préserver la sainteté du jour du Seigneur. Mais j’oubliais : tu es anglican… et pas vraiment pratiquant.
— Tu as raison. La preuve : j’ai épousé ta mère, une catholique. Cela dit, certaines traditions religieuses commencent à sentir la poussière, tu ne trouves pas ?
— Peut-être. Pourtant, elles tiennent bon. Plusieurs de tes coreligionnaires, comme bon nombre de catholiques d’ailleurs, prônent l’abstinence en tout temps. Depuis des années, ils réclament la fermeture des tavernes le dimanche. L’Église garde l’œil ouvert, et les autorités suivent… du moins en façade.
— Théoriquement, donc.
— Disons que la loi et la vie ne marchent pas toujours du même pas. À Ottawa, les sociétés de tempérance, très protestantes, ont beaucoup d’influence. Mais ici, de l’autre côté, chez les Canadiens français et les Irlandais, on est plus souple… tout en maintenant les apparences. Mieux vaut ne pas se faire surprendre un verre à la main un dimanche.
— Mais derrière les portes closes ?
— Certains établissements, surtout ceux près des scieries ou des embarcadères, savent s’arranger avec les convenances. On entre par-derrière, on boit dans l’arrière-salle, on ferme les rideaux.
— Et ton cousin ? Il ferme les yeux aussi ?
— Je l’ignore. Antoine est un homme de devoir, tout comme l’était son père. Mais dans une ville comme Hull, il faut parfois choisir ses batailles. Arrêter un ivrogne un dimanche soir ne change rien au cours du monde, surtout quand d’autres crimes se trament dans l’ombre.
Le fiacre ralentit, ses roues crissant sur les graviers d’un chemin secondaire. Devant eux, une maisonnette à pans de bois, simple et basse, se tenait là, modestement posée à l’angle d’un jardin étroit où les plates-bandes encore nues attendaient le retour du printemps. Une lumière tremblait derrière un rideau, et un chat s’enfuit sous la galerie.
Robinson écarta le rideau de cuir du fiacre et se pencha, plissant les yeux vers la rue.
— J’imagine que nous le saurons bientôt. Voilà sa maison.
La maison d’Antoine Cadrin, modeste logis de bois en retrait de la rue Wright, était précédée d’une clôture branlante et d’un perron usé par les intempéries. Une lumière tremblotante filtrait derrière les rideaux, tandis que des voix d’enfants résonnaient à travers la porte.
Miss Dupuis frappa trois coups. Un instant plus tard, la porte s’entrouvrit, dévoilant le visage fatigué de Cadrin, marqué par les années de service ingrat. Il les observa d’un regard soupçonneux.
— Qu’est-ce que vous voulez ? lança-t-il d’un ton bourru.
— Antoine… C’est moi, Thérèse Dupuis. Ta cousine.
Il plissa les yeux, hésitant, puis ouvrit davantage.
— Thérèse ? Ça fait une lurette… Je ne t’aurais pas reconnue. Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
— Nous avons besoin de ton aide.
Derrière lui, un enfant courait, poursuivi par un autre armé d’une cuillère en bois. Une voix féminine cria dans le fond de la maison, couverte par les pleurs d’un nourrisson. Cadrin donna une tape distraite sur la tête d’un quatrième enfant curieux.
— Entrez, grogna-t-il. Mais pas longtemps. C’est mon jour de repos.
Ils le suivirent dans une petite pièce chauffée par un poêle. L’air y était chargé d’odeurs de soupe, de linge humide et de bois brûlé. Une lampe à l’huile jetait une lumière vacillante. Cadrin s’installa lourdement sur une chaise.
— Alors, qu’est-ce que vous me voulez ?
— Nous cherchons un homme : Laviolette, répondit Robinson.
— Laviolette… Je le connais. Un ivrogne. Je l’ai souvent ramassé dans un caniveau. Pourquoi vous le cherchez ?
— Pour une affaire de mort suspecte, dit Miss Dupuis.
Cadrin regarda Robinson, méfiant.
— Et vous êtes ?
— Silas Robinson. Détective de la police de Montréal.
— Vous êtes bien loin de chez vous, détective.
— Ce n’est pas la première fois qu’on me le dit.
— Donc, vous pensez que Laviolette aurait tué quelqu’un ? J’en doute beaucoup. C’est un soulard, pas un meurtrier.
— Où peut-on le trouver ?
— Dans les tavernes près de la rivière. Ce soir, probablement chez Saint-Onge.
— Une taverne ? Un dimanche soir ? releva Robinson.
— Officiellement, elles sont fermées. Mais les habitués savent comment entrer. Par-derrière. Saint-Onge ne refuse personne, tant qu’il y a de l’argent.
— Et les autorités ?
— Tant qu’il n’y a pas de grabuge, on laisse faire.
— Je parie que Saint-Onge vous connaît bien, dit Robinson.
— Je l’ai fait vider plus d’une fois.
— Alors, viens avec nous, dit Miss Dupuis. Ce sera plus simple avec toi.
— Mais c’est ma journée de congé… dit-il en soupirant.
Des cris d’enfants retentirent à nouveau. Il se leva à contrecœur.
— Antoine… c’est important, dit-elle doucement.
Il la regarda. Un éclair de tendresse passa dans ses yeux.
— Bon. D’accord. Mais seulement parce que c’est toi.
Il mit son manteau, lança un mot à sa femme, et sortit. L’air du soir, frais mais limpide, les saisit aussitôt. Cadrin prit la tête, les menant d’un pas vif vers la taverne de Saint-Onge. Les ombres des scieries s’allongeaient sur la rivière, et la lumière dorée du crépuscule baignait la rue d’un calme trompeur.
La taverne, blottie entre deux entrepôts de bois, offrait à la nuit tombante l’aspect d’une bâtisse oubliée, sa façade de planches noircie par les saisons et les fumées. La porte principale étant close, ils contournèrent le bâtiment par un sentier boueux, déjà marqué de traces de bottes.
À l’arrière, un rideau élimé masquait une entrée discrète. Cadrin poussa la porte sans un mot. À l’entrée des deux détectives, les conversations baissèrent d’un ton. Plusieurs têtes se tournèrent, quelques chaises raclèrent le plancher. Deux hommes se levèrent précipitamment et quittèrent la pièce sans un mot.
Saint-Onge leva les yeux, son visage de bûcheron figé dans un sourire froid. Il désigna d’un geste sec la porte par où les hommes s’éclipsaient.
— Cadrin… Tu fais fuir mes clients.
— Tu sais que cette taverne n’a pas le droit d’être ouverte le dimanche.
— Quelle taverne ? Ici, on sert du thé, mon cher. Une tisane bien locale, bien infusée.
— Tu me prends pour un imbécile, Saint-Onge ?
Le tavernier étendit ses bras massifs, les paumes ouvertes en un geste faussement innocent.
— Je t’assure, mon vieux, que c’est de la tisane… Une tisane avec… un soupçon d’esprit, disons.
Il ponctua sa phrase d’un clin d’œil appuyé.
Avant que Cadrin ne réplique, Robinson intervint, sa voix grave tranchant avec la légèreté du patron.
— Où est Laviolette ?
Saint-Onge cessa son manège et plissa les yeux en direction du détective.
— Vous êtes qui, vous ?
— Quelqu’un qui peut t’en faire voir de toutes les couleurs si tu ne réponds pas.
Saint-Onge recula légèrement derrière son comptoir, jetant un regard furtif vers Cadrin comme s’il espérait y trouver une explication. Cadrin, amusé, resta muet, savourant l’inconfort du tavernier. Robinson, lui, se contenta de le fixer, impassible, prenant manifestement plaisir à ne pas se présenter.
Le silence s’épaissit, jusqu’à ce que Saint-Onge souffle finalement, d’un ton bourru :
— Laviolette ? Connais pas…
— Ne joue pas à ça, coupa Cadrin. Tu sais très bien de qui on parle.
Un silence pesant suivit. Saint-Onge finit par soupirer et hocha la tête vers le fond de la salle.
— Là-bas. Il cuve son vin.
Tous les regards convergèrent vers un homme affalé sur sa chaise, les yeux perdus dans le fond de sa chope.
Robinson le toisa d’un œil attentif, puis s’avança d’un pas lent, les bras le long du corps. Miss Dupuis le suivait, le regard fixe. Cadrin, quant à lui, se détourna avec une satisfaction muette et quitta la taverne sans mot dire, non sans accorder à Saint-Onge un dernier regard chargé d’avertissements.
Robinson resta debout près de la table, raide et muet. Miss Dupuis s’assit, posant calmement ses mains gantées sur la table poisseuse. Laviolette, blême et courbé, ne leva pas les yeux. Les creux sous ses paupières étaient noirs.
— Bonsoir, Monsieur Laviolette, dit-elle avec douceur.
Il battit des paupières comme s’il sortait d’un rêve pâteux. Sa voix, râpeuse, s’échappa difficilement de sa gorge sèche.
— On se connaît ?
— Non. Mais on m’a parlé de vous.
— Ah ouais ? Qui ça ?
— Armand. Le contremaître de la scierie Eddy.
— Armand, hein…
— Il m’a dit que vous aviez été longtemps au service de la scierie. Quel poste occupiez-vous ?
— Comptable… pendant des années. Des chiffres, des registres…
— Un bon poste.
— Je gagnais bien ma vie…
Elle baissa un instant les yeux vers ses vêtements froissés, le col défait, les boutons dépareillés.
— Et pourtant, vous avez quitté ce poste.
— C’est pas vos affaires…
— On ne quitte pas un emploi sûr sans une raison sérieuse, Monsieur Laviolette.
Il se tut. Ses mains, toujours posées autour de sa chope vide, se contractaient par à-coups, comme si elles cherchaient à écraser un souvenir. Un souffle bref lui échappa, entre un ricanement et un soupir.
— Y’a des choses qu’on préfère laisser derrière soi…
— Comme Clarissa. C’était votre fiancée, n’est-ce pas ?
Le nom claqua doucement, tel un coup porté à l’estomac. Laviolette tressaillit, frappé net. Son dos se redressa légèrement, ses doigts se crispèrent sur le bois usé de la table. Un instant, il sembla hésiter entre la fuite et la riposte, puis son regard se durcit, traversé d’un éclair de colère. L’ivresse retomba de son visage, balayée par une lucidité brutale.
Quant à Robinson, resté en retrait, il eut un léger sursaut de surprise. Il tourna lentement la tête vers Miss Dupuis, les sourcils froncés, l’œil incrédule. Cette question, il ne l’avait vraisemblablement ni prévue ni suggérée. D’où tenait-elle ce nom ?
Laviolette gardait les yeux baissés. Un moment s’étira, suspendu. Puis il releva lentement la tête. Son regard, d’abord fuyant, accrocha celui de Miss Dupuis. Et s’y heurta.
— Comment vous savez ça ? murmura-t-il, la gorge prise dans un étau.
— C’est une très jolie femme, Clarissa.
— Vous… vous l’avez vue ?
— Oui. À la scierie. Une jeune femme vive, pleine d’esprit… un peu frivole, peut-être ?
Laviolette blêmit. D’un coup sec, son poing s’abattit sur la table. Les verres tremblèrent. Deux clients figèrent leur mouvement. Derrière le comptoir, Saint-Onge leva lentement les yeux, sans mot dire.
— Frivole ?! répéta Laviolette, la voix tranchante, le visage dur comme la pierre.
— Ce n’était pas un jugement, dit Miss Dupuis, sans ciller. J’ai seulement lu ce qu’on disait d’elle dans les journaux.
Laviolette inspira profondément. Ses épaules, un instant tendues dans un élan de colère, retombèrent. Quand il parla de nouveau, sa voix s’était brisée.
— Elle aimait plaire… oui. Elle aimait qu’on la regarde. C’était plus fort qu’elle.
Il s’interrompit, déglutit. Un silence s’installa, tendu, chargé d’une douleur innommable.
— … mais je n’avais pas imaginé jusqu’où ça irait.
— Que voulez-vous dire ?
Il tourna la tête, violemment. Sa mâchoire se contracta, ses tempes palpitaient. Il fixa le mur, quelque part entre la lampe et l’ombre. Puis, dans un souffle presque étranglé, les mots s’extirpèrent de lui, un à un, comme des épines qu’on arrache.
— Un jour… elle est venue au bureau. Sans prévenir. Je croyais que c’était pour les fiançailles. Elle avait toujours des idées, des projets… Elle parlait de dentelle, de rubans, de musique… Et moi, je l’écoutais…
Il se pencha vers son verre vide. Le regard creux.
— J’y croyais… encore…
Il leva deux doigts vers Saint-Onge. Le tavernier haussa les épaules et fit un signe tranchant : pas d’autres verres. Laviolette esquissa un rictus douloureux. Il baissa la tête.
— Donc, Clarissa est venue vous voir pour parler des fiançailles.
— C’est ce que je croyais… mais…
Il s’interrompit. Miss Dupuis le fixait, droite, les bras croisés. On aurait dit qu’elle attendait qu’il saigne.
— Mais quoi ? souffla-t-elle.
— Elle… elle venait pour rompre. Juste ça. Rompre. Ses mots sont sortis comme des balles : elle en aimait un autre, elle était sa maîtresse… elle allait l’épouser.
Il serra les dents, la lèvre tremblante. Une larme roula, solitaire. Il ne la chassa pas.
— Et elle vous a dit qui c’était ?
Il hésita, le regard plein de colère rentrée. Puis il lâcha :
— Leamy.
— Andrew Leamy ?!
Il hocha la tête, lentement. On aurait cru voir un homme reconnaître la corde qui pendait au-dessus de lui.
— Nous étions fiancés. Elle allait devenir ma femme. Et puis… plus rien. Plus un mot. Plus un regard.
— Mais Leamy était marié ?
— Elle disait qu’il allait divorcer. Elle le croyait capable de tout pour elle. Elle le croyait sincère.
— Et vous ?
Il haussa les épaules, un sourire las aux lèvres, sans chaleur.
— Moi, j’ai jamais cru à ses histoires. Pas une seconde. Mais elle… elle ne voyait que lui. C’était son noble chevalier. Un homme qui allait tout abandonner par amour. L’hostie de tabarnak… Ce criss-là, c’était un menteur. Un beau parleur avec ses cravates et ses manières.
Sa voix se brisa. Les larmes vinrent. Il ne chercha plus à les retenir. Il sanglotait à présent, le souffle court, les épaules secouées, le visage noyé.
Miss Dupuis attendit. Elle savait qu’il fallait laisser couler.
Quand il parla de nouveau, sa voix était râpeuse, presque éteinte :
— Il lui avait tourné la tête. C’est pas plus compliqué. Il lui a fait croire à une autre vie. Mais jamais il aurait quitté sa femme. Un homme comme lui, un catholique du dimanche, bien en vue, avec ses terres et ses contrats… Non. Il lui a menti jusqu’au bout. Criss de Leamy !
— Et vous ? Vous lui en avez voulu ?
Il serra les poings, lentement, ses jointures blanchirent. Il tremblait légèrement.
— Je l’ai haï. Il m’a volé ce que j’avais de plus cher. Pas juste une femme. Il m’a volé mon avenir, ma fierté, mon nom. Il me l’a prise avec des promesses sucrées, pendant que je faisais des plans d’avenir.
Un silence s’abattit, épais, cotonneux. On entendait le bois craquer sous le feu et un pas traînant dans la pièce du fond.
Robinson, jusque-là resté muet, s’était avancé d’un demi-pas. Il observa Laviolette comme on regarde un homme au bord d’une falaise. Puis il parla, d’une voix calme, posée :
— Tu le détestais, Leamy ?
— Qu’est-ce que vous croyez ?
— Au point de le tuer ?
Laviolette ne répondit pas. Il fixait un point au loin, là où le bois du mur se fendillait.
— Où étais-tu mardi dernier, le jour de sa mort ? demanda Robinson.
— Hein ?
— Ton alibi, Laviolette. Où étais-tu ?
— Je… je sais plus. Je me souviens pas.
— Ce n’était pas il y a si longtemps.
— J’avais bu… comme d’habitude.
Miss Dupuis intervint, d’un ton plus doux :
— Et aujourd’hui, vous travaillez ?
— Non. Je n’ai plus de poste.
— Où habitez-vous ?
— Chez ma sœur. Elle et son mari m’ont recueilli… le temps que je m’en sorte.
— Peut-être saura-t-elle où vous étiez mardi.
— Peut-être.
— Donnez-nous son adresse.
Il prit le crayon qu’elle tendait, griffonna une adresse d’une main lente.
Robinson croisa le regard de sa collègue. Laviolette, l’homme effacé, l’ivrogne, devenait autre chose maintenant : un suspect.
— On aura d’autres questions pour toi. Ne t’éloigne pas.
Laviolette ricana faiblement, un rire sans joie.
— Où voulez-vous que j’aille ?
Ils se levèrent. La taverne, désormais presque vide, baignait dans une lumière grasse. Le silence s’y était réinstallé.
Ils sortirent sans se presser. Dehors, le froid les attendait, et le halo laiteux d’un réverbère les accompagna jusqu’à la rue Wellington, à la recherche d’un fiacre.